« J’ai été élevé dans une famille de la classe ouvrière, pratiquant la religion catholique romaine, et comme plusieurs garçons de mon âge, j’ai vécu ma phase religieuse à onze ans. Je suis allé voir le curé de notre paroisse pour lui annoncer que je voulais être prêtre.
Notre curé à ce moment était vieillissant et faisait partie de la vieille école, celle de ceux qui avaient récité plus de messes en latin qu’en anglais. Il était aussi, sans aucun doute, un homme de Dieu qui se considérait comme un berger, et nous considérant, comme faisant partie de son troupeau. Lorsque qu’un membre de son troupeau déclarait qu’il voulait être prêtre, il le prenait au sérieux. Je commençai à le rencontrer une fois par semaine avec deux autres garçons qui voulaient aussi être prêtres. Dans ces rencontres hebdomadaires, nous discutions plus profondément les enseignements de l’Église, le rôle du prêtre et si notre appel était réel. Après une de ces discussions, un des garçons a déserté parce qu’il a senti qu’il n’était pas réellement appelé, et qu’il participait plutôt pour faire plaisir à sa famille. Les deux d’entre nous qui restions n’étaient nullement découragés. Nous continuions notre apprentissage, persuadés par l’idée qu’un jour nous deviendrions prêtres à notre tour.
Je passais des jours heureux alors que je me préparais à servir Dieu avec tout l’enthousiasme de mes onze ans. Le jour qui a changé ma vie a commencé comme tous les autres. Je suis allé à l’école et après je me suis dirigé vers la chapelle pour l’enseignement religieux. La gouvernante m’a ouvert la porte. Elle était au bord des larmes en me disant que le curé était tombé malade sérieusement plus tôt dans la journée. Il avait survécu, mais il ne reviendrait pas dans la paroisse. (Je me suis souvent demandé qu’est-ce qui serait arrivé s’il n’était jamais tombé malade. Serais-je un curé aujourd’hui?) Peu après cet événement, un nouveau curé pour la paroisse arriva (je l’appellerai Adrien). Au début, tout allait bien et je me confortais dans la routine. Les trois mois suivants se déroulèrent sans incident de mon côté même si je remarquai que les enfants de chœur quittaient leur travail bien avant d’avoir atteint l’âge habituel de désistement.
J’allais comprendre rapidement pourquoi lorsqu’après une messe, le père Adrien m’a demandé d’aller le rencontrer dans la sacristie. Je m’y dirigeai tranquillement sans arrière-pensées à savoir pourquoi il désirait me rencontrer, puisqu’après tout il était le prêtre. Lorsque j’arrivai dans la sacristie, le père Adrien me demanda de m’asseoir et c’est à ce moment que les choses ont commencé à changer. Il a commencé par me demander si j’avais un péché que j’avais besoin de confesser. Lorsque je lui répondis non, il me traita de menteur et me dit qu’il devait prier pour que je sois pardonné. Il s’agenouilla à côté de moi et commença à prier à voix haute. Il disait quelque chose comme quoi je menais au péché et que j’étais le mal. Il commença à gémir et à grogner. J’étais conscient que sa main montait tranquillement le long de ma jambe jusqu’à toucher mon pénis. À mesure que l’abus se déroulait, j’étais comme conscient de devenir un spectateur de ce qui m’arrivait. Je devenais conscient de choses qui m’entouraient comme les lampions qui brûlaient trop intensément et le violet de ces vêtements qui semblaient encore plus violet que de coutume. J’étais là mais je n’étais plus là. Ceux qui ont vécu des abus sexuels savent de quoi je parle. Beaucoup plus tard dans ma vie, je découvris que c’était ce qu’on appelle une « dissociation » et que c’est la forme la plus répandue d’autodéfense de ceux qui sont abusés. Au moment de ces actes, je ne ressentais pas grand aide de cette autodéfense. À l’intérieur de moi, tout mon être lui criait d’arrêter et je criais aussi à Dieu qu’il me donne sa protection. Mais peut-être que Dieu était sourd ou que je ne criais pas assez fort, toujours est-il que Dieu ne m’a jamais défendu. Après l’épisode, Adrien me dit que personne ne me croirait jamais si je disais ce qui était arrivé. Je laissai la sacristie dans un brouillard, étourdi, et n’en parlai jamais à personne ce jour-là ni les nombreux autres jours où ça continua.
J’étais coincé pour un moment dans ce cycle de l’abus, après tout, qui m’aurait cru? Adrien était un prêtre qui se positionnait entre les gens et Dieu, il représentait le Christ sur terre, celui qui pardonne les péchés, le bon berger. J’étais un garçon de onze ans, un rêveur, et si je disais quoi que soit on me cataloguerait comme menteur. Ma relation avec ce Dieu auquel je pensais que je croyais était terminée. Les abus continuèrent pour quelques mois jusqu’à ce que je trouve à quelque part la force de tourner le dos entièrement à cette église et à ce Dieu. Ma phase religieuse et spirituelle était terminée. Le temps m’a démontré que très souvent les abuseurs occupent des positions au-dessus de tout soupçon dans la communauté et qu’ils utilisent cette position pour manier leur besoin de mal en échange de misères et de souffrances. L’expérience m’a démontré que la difficulté à gérer un abus signifie que l’abus va être présent dans votre vie de plusieurs façons et surtout dans vos futures relations avec les personnes. Ceci est spécialement vrai lorsque vient le moment de faire confiance à des amis ou à des conjoints. Cet événement plus que tout autre allait gouverner ma vie ou, devrais-je dire, ma maladie.
Si cela avait été le seul événement traumatisant de ma vie que j’avais à traverser, je crois que je lui aurais survécu, progressé et mené une vie plutôt normale. Mais comme c’est souvent le cas, c’est lorsque je me croyais à l’abri que la vie m’amena une nouvelle épreuve. À mesure que je grandissais comme adulte, je mettais le souvenir de mon abus de côté (en tout cas, à ce que je croyais), et m’occupais à vivre jusqu’à ce que je rencontre Annabelle. Je la rencontrai un samedi soir dans un pub après avoir joué au rugby. Lorsque je l’aperçus, je compris ce qu’on voulait dire par coup de foudre. Être psychotique n’a rien à voir avec être en amour, mais l’amour est sans nul doute, l’ultime expérience psychotique. Annabelle était une artiste, la sculpture était son médium principal et elle peignait et dessinait. Pendant la courte période de temps que nous partageâmes, elle m’apprit beaucoup de choses. Qu’est-ce qu’était l’amour, comment le faire et encore plus important, comment aimer la vie. Elle m’a aussi appris à apprécier les arts comme la musique classique, l’opéra et le théâtre. Avec elle, j’ai commencé à découvrir une dimension spirituelle à ma vie tout en m’empressant d’ajouter qu’il n’y avait rien de religieux dans cette dimension.
Notre relation se développa rapidement de la torride passion des nouveaux amoureux à la passion qui consume ceux qui sont des âmes sœurs. Nous passions le plus de temps possible ensemble. Souvent, nous discutions et planifions toute la nuit comme les couples le font. Nous planifions notre vie ensemble, et c’était la normalité à son meilleur. Mais comme pour toute normalité, le malheur couvait, attendant sa chance pour bondir et nous consumer. C’est ce qui se produisit un jour.
Comme le jour où j’avais rencontré Annabelle, notre dernier jour fut un samedi. Après avoir joué au rugby, je revenais à la maison avec quelque chose à manger. Quand je rentrai, j’appelai Annabelle pour savoir si elle voulait du thé ou du café. Elle ne répondit pas. J’allai dans le salon et la trouvai étendue sur le divan. Je lui demandai encore, sans réponse. J’eus beau la secouer, elle ne bronchait pas. Je courus d’urgence chez le voisin pour appeler une ambulance. Ils l’emmenèrent à l’hôpital et la branchèrent sur des machines pour la maintenir en vie. Trois jours plus tard, son décès fut constaté. Annabelle avait pris sa propre vie et je n’ai jamais vraiment su pourquoi, mais je sais que je me suis blâmé. Je ne sais pas pourquoi je me suis blâmé, mais ça m’a pris plusieurs années avant d’arrêter.
Lorsqu’elle est décédée, une large part de moi-même est morte aussi. J’ai juré que je ne serais plus jamais impliqué intimement avec quelqu’un. Comme beaucoup d’autres, j’ai supprimé toutes mes émotions à propos d’Annabelle et de sa mort. J’ai continué un semblant d’existence que les autres appellent la vie. Comme pour l’abus, j’ai choisi de prétendre que ça n’était jamais arrivé et comme pour l’abus, mes émotions de chagrin, de perte et la haine du monde a couvé dans mon for intérieur, grandissant et attendant leur chance de m’engloutir.
Les émotions ont repris leurs droits après un accident sur le terrain de rugby qui mit fin à ma carrière de joueur. À peine quelques semaines avaient passé depuis que j’étais sorti de l’hôpital (toujours en béquilles), lorsque j’entendis une voix pour la première fois. J’étais dans mon bureau à attendre que mon ordinateur me donne les résultats d’un travail que j’avais entrepris lorsqu’une voix derrière moi me dit que je m’étais trompé. J’ai regardé derrière moi mais il n’y avait personne. J’ai arrêté immédiatement ce que je faisais, j’allai au pub et me soûlai. Je me souviens avoir pensé que j’étais stressé et que j’avais besoin d’une pause.
En dedans de six mois, d’autres voix se sont rajoutées, des voix qui criaient après moi toute la journée. Je ne pouvais plus me concentrer sur mon travail et mon seul échappatoire était de me soûler jusqu’à tout oublier. À un moment donné mon patron m’a dit que j’avais quatre semaines pour me ressaisir. Quatre semaines plus tard, j’avais perdu mon travail, perdu mon logement et j’étais sur le chemin de ma première rencontre avec le système psychiatrique (mais je ne le savais pas encore à ce moment). Encore plus rapidement, je devins pitoyable à voir, mal rasé, plus souvent qu’autrement portant des vêtements sales, et plus souvent soûl que sobre.
Finalement, je n’en pouvais plus, alors j’ai appelé les Samaritains et après avoir beaucoup discuté, je suis allé voir mon médecin généraliste. Il termina la consultation avec les mots « Je vais m’organiser pour vous faire voir un spécialiste. » « Ok que je me suis dit, cela va prendre un moment ». Quelle ne fut pas ma surprise alors lorsqu’il me demanda d’attendre dans une pièce connexe à celle de la consultation. Il revint rapidement avec une infirmière qui m’assisterait durant l’attente. La seule chose que je me souviens de cette attente est combien peu l’infirmière parlait et le sentiment qu’elle était terrifiée à l’idée d’être dans la même pièce que moi.
Ma courte attente se termina trois heures plus tard lorsque le médecin généraliste revint avec un autre homme qui s’avéra être le spécialiste. Le spécialiste se présenta comme étant un psychiatre qui répondait à la demande du médecin. C’est à ce moment que je vécus ma première heure d’entrevue psychiatrique, après laquelle le psychiatre me déclara malade et qu’il serait mieux pour moi de me rendre à l’hôpital pour une courte période de temps.
Je lui ai répondu de se foutre son hosto où je pensais et m’enfuis de la clinique. Trois jours plus tard, j’étais traîné au Royal Free Hospital où je subis un nouvel interrogatoire psychiatrique avant d’être diagnostiqué schizophrène.
Le psychiatre m’a dit que la médication éradiquerait mes voix et mes autres symptômes et me permettrait de me sentir mieux. Il m’a dit que la médication prendrait autour de deux semaines avant de faire effet et que je me sentirais très proche du Moi que j’étais avant. Il était dans l’erreur. Après deux semaines, c’était pire. J’ai arrêté la médication et décidé de partir. C’est à ce moment que je découvris l’énorme pouvoir du système dans lequel j’étais. On m’a mis sur la section 2 du Mental Health Act qui signifiait qu’il pouvait me garder sans ma volonté pour une période de vingt-huit jours. La section 3 de cet ordre de traitement leur permet d’obliger la personne à prendre des médicaments avec ou contre son gré. Ma vie était devenue ainsi, des moments en dedans, des moments de répit (mais non de bonheur) en dehors et retour à la case départ.
Pendant les dix années qui ont suivi, j’ai été hospitalisé autour de six ans presque toujours selon la section 3 du Mental Health Act. J’ai subi autour de 40 séances d’électrochocs, essayé presque tous les neuroleptiques sur le marché et échoué toutes les tentatives de thérapies psychologiques. Malgré la force des régimes de traitement que je subissais, les voix que j’entendais étaient toujours là, la médication ne me procurait aucun répit et même, elle était devenue si forte que j’ai viré presque zombie. Je ne voyais la vie qu’au travers d’une brume provoquée par les drogues légales que sont les médicaments.
Le système m’a montré des choses mais la plus importante était comment devenir un bon schizophrène. Je crois que l’on apprend comment devenir un malade mental dans le système. Ça m’a pris dix ans avant de sortir du système et alors ils avaient créé un vrai schizophrène.
Maintenant, le rétablissement!
Les pierres d’assise du rétablissement
Mon voyage vers le rétablissement a commencé en 1991, alors que ma travailleuse de soutien, Lindsay Cooke, qui croyait en moi, m’a dirigé vers un groupe d’entendeurs de voix, à Manchester. C’était elle, et non moi, qui croyait qu’un groupe d’entraide pouvait m’aider. C’était elle qui voyait, au-delà de ma folie, que j’avais un potentiel. C’était sa foi en moi qui a donné le coup d’envoi de mon rétablissement. Et c’est à elle que je dois énormément.
Il y a d’autres choses essentielles nécessaires pour couronner de succès une telle expédition : une de celles-ci est d’être capable de naviguer jusqu’à la destination désirée. En cela j’ai été chanceux d’avoir non pas un seul navigateur mais bien plusieurs. Dans cette section je n’en mentionnerai que cinq. La première est Anne Walton, une consœur, entendeure de voix, qui m’a demandé à ma toute première rencontre au groupe d’entraide d’entendeurs de voix si j’entendais des voix et quand je lui ai répondu oui elle m’a dit qu’elles étaient réelles. Cela peut sembler peu mais cette simple phrase est devenue comme une boussole pour moi qui me montrait la direction que je devais prendre et renforçait mon engagement dans le processus de rétablissement.
Le second est Mike Grierson : Mike fut la personne qui a navigué avec moi à la fois avec mes voix et avec la société. Il m’a amené à sortir dans le « monde ordinaire » et à reprendre contact avec le cinéma, les concerts de musique classique, et à réveiller en moi l’engouement pour les arts, il m’a aussi aidé à faire le point sur mes voix de façon à me permettre de vivre mes propres expériences. Ainsi, il n’était pas seulement mon navigateur social!
Les troisième et quatrième furent Terry McLaughlin et Julie Downs qui m’ont aidé à revenir naviguer dans la normalité. Ils m’accueillaient dans leur famille sans préjugé et ont ravivé mes intérêts pour la politique. C’est avec Terry que j’ai développé la plupart de mes premières pensées sur l’entraînement et la santé mentale. Avec Julie, j’ai développé des programmes de formation que je continue de développer avec ma femme Karen. Nous les utilisons pour explorer le monde de la santé mentale.
Ma cinquième personne est Paul Baker, un autre de mes navigateurs sur le chemin du Rétablissement. Paul Baker a amené le réseau d’entendeurs de voix au Royaume-Uni et m’a encouragé à m’y impliquer. Au moment opportun, il m’a offert la chance de m’occuper du développement des groupes de voix. À tous mes navigateurs, Anne, Mike, Terry, Julie et Paul, je dois la santé mentale.
Les navigateurs ont besoin de cartes ou de plans pour naviguer. J’ai été grandement chanceux d’avoir affaire avec les redoutables fabricants de cartes que furent Patsy Hage, Marius Romme et Sandra Escher. Je ne crois pas que ces trois-là mesurent entièrement la portée de ce qu’ils ont fait. Autant Patsy Hage en savait peu lorsqu’elle a lu le livre de Julian Jaynes, autant l’impact des questions qu’elle posa fut énorme et influença énormément de personnes. C’est à cause de ses questions que le réseau d’entendeurs de voix, Resonance et d’autres réseaux à travers le monde ont vu le jour. Qu’elle le veuille ou non, elle tient une place prépondérante de pionnière dans l’histoire du mouvement d’entendeurs de voix.
Sandra Escher est sans nul doute la personne qui a le plus fait pour permettre aux gens ordinaires de comprendre les cartes et plans qui leurs étaient suggérés. Son habileté à rendre le message accessible à tous a permis au matériel de sortir des hauts lieux du savoir universitaire et d’être utilisé par les entendeurs de voix dès le départ. Sandra Escher et Patsy Hage ont joué un rôle très important dans mon rétablissement.
Finalement, le dernier mais non pas le moindre des cartographes du rétablissement dont j’ai eu la chance de croiser le chemin, est Marius Romme. Même si dans ses propres mots il se considère comme un psychiatre traditionnel, selon moi il a arrêté d’être un psychiatre traditionnel lorsqu’il a commencé à écouter sérieusement Patsy Hage et à explorer ce qu’elle disait. Aussi, lorsqu’il a déclaré publiquement qu’entendre des voix était une expérience normale qui ne devait pas être crainte, il est devenu un grand psychiatre encore moins traditionnel, qui se préoccupait peu de l’avis de ses pairs du passé qui le critiquaient et le ridiculisaient.
Je dois la vie à ces trois cartographes.
Jusqu’à maintenant, j’ai nommé neuf personnes qui ont agi de près ou de loin, d’une façon ou d’une autre, pour m’aider dans mon rétablissement. Voici la première pierre d’assise : les personnes.
Si j’avais à nommer toutes les personnes qui ont joué un rôle dans mon rétablissement, la liste serait très longue. Une des caractéristiques de cette liste serait le fait que la majorité des personnes en faisant partie ne sont pas des professionnels. Une de mes croyances fondamentales à propos du rétablissement est la prémisse que le rétablissement ne peut se réaliser dans la solitude. Ni non plus si toutes nos relations sont basées sur un rapport d’interaction client versus professionnel. Le rétablissement est par définition quelque chose d’entier et personne ne peut être entier s’il est isolé de la société dans laquelle il vit et travaille.
Pendant plusieurs années je disais à qui voulait l’entendre que pour moi, la maladie mentale n’existait pas. J’en débattis avec plusieurs. J’eus un de ces débats avec Marius Romme. Durant cette discussion il est devenu clair que M. Romme ne défendait pas le cas d’une maladie biologique. Il disait plutôt qu’il y avait maladie à partir du moment où l’individu n’était plus capable de fonctionner en société. J’acceptai cette idée parce qu’elle signifiait pour moi que le rétablissement n’était pas le cadeau des médecins mais bien la responsabilité de tous.
Voici qui soulève la question à savoir si la société est préparée à prendre ses responsabilités vis-à-vis du rétablissement des personnes avec un problème de santé mentale. Mon opinion est que la société n’est pas prête parce que dans notre culture sophistiquée nous cherchons trop une cause biologique pour expliquer les problèmes de santé mentale. Je suppose que mes espérances envers la société sont trop élevées, mais elles doivent être vues dans le contexte de ces sociétés qui acceptent la responsabilité pour les leurs qui deviennent fous.
Par exemple, dans la culture aborigène, lorsque quelqu’un vire fou, la tribu entière se rassemble pour discuter de ce qu’elle a fait pour provoquer cette situation. Pouvez-vous imaginer ça dans notre culture? Je ne pense pas. Dans notre culture, l’hôpital est le premier réflexe. Il n’y a pas de rassemblement de la communauté locale pour s’interroger sur ce qui ne tourne pas rond dans la communauté. C’est la ronde des pseudo-experts qui se réunissent, souvent sans la présence de la personne concernée, pour décider ce qui ne va pas et comment on va y remédier. Ce scénario, par trop fréquent, offre peu de chances de succès pour le rétablissement du client. Il est impersonnel plutôt que d’être centré sur la personne pour approcher le problème. À l’intérieur de ce scénario, le rétablissement est objectif et non subjectif, et la personne n’est plus un réel facteur du processus.
Si les personnes sont les pierres d’assise du rétablissement, le Soi en est la pierre angulaire. Je crois sans réserve que notre plus grand obstacle dans notre voyage vers le rétablissement, c’est nous-mêmes. Le rétablissement demande de la confiance en soi, du respect de soi, de la conscience de soi et de l’acceptation de soi. Sans cela le rétablissement n’est pas seulement impossible, il n’en vaut tout simplement pas la peine.
Nous devons devenir confiants dans nos propres capacités de changer nos vies ; nous devons cesser de nous fier sur les autres pour qu’ils fassent tout pour nous. Nous devons commencer à faire les bonnes choses pour nous-mêmes. Nous devons trouver la confiance d’arrêter de se considérer malade pour commencer à se considérer en rétablissement. Nous devons travailler à augmenter notre estime de soi en devenant des citoyens à l’intérieur de nos communautés et même envers elles s’il le faut. Nous sommes des membres de valeur de nos sociétés et nous devons reconnaître cette valeur. Nous devons reconnaître nos propres défauts. Le système peut avoir créé notre diagnostic, mais c’est souvent nous-mêmes qui le renforçons. Nous devons être conscients de notre comportement appris qui devrait faire partie de notre ancienne vie. Nous devons changer ces comportements qui nous maintiennent dans des rôles de patient. Nous devons accepter et être fier de ce que nous sommes, pouvoir honnêtement dire : « mon nom est Ron Coleman, je suis psychotique et fier ». Non pas comme une déclaration insolente, mais comme une simple déclaration de fait.
Je suis convaincu que lorsque nous devenons de plus en plus confiant sur qui et ce que nous sommes, nous devenons aussi de plus en confiant sur qui et ce que nous voulons devenir. Les quatre soi : confiance en soi, respect de soi, conscience de soi et acceptation de soi sont la deuxième pierre d’assise sur le chemin de rétablissement.
La troisième pierre est étroitement reliée à la deuxième et à notre propre statut. Je crois que nous avons beaucoup de possibilités de prendre du pouvoir sur notre statut. Nous pouvons choisir de demeurer des victimes du système, nous pouvons continuer à nous plaindre, nous pouvons choisir de demeurer la pauvre petite personne malade qui a besoin des soins de professionnels vingt-quatre heures par jour. D’un autre côté, nous pouvons choisir une autre direction. Nous pouvons choisir d’arrêter d’être des victimes et devenir des vainqueurs, arrêter de nous plaindre et recommencer à vivre, ne plus être la pauvre petite personne malade et commencer notre voyage vers le Rétablissement. Le choix est pour moi la troisième pierre d’assise. Lorsqu’on se considère comme malade, il est facile de laisser les autres faire des choix pour nous. Le chemin du Rétablissement ne demande pas seulement que nous fassions nos propres choix de vie, mais aussi que nous en prenions les responsabilités qui en découlent, bonnes ou mauvaises. Comme nous ferons des choix, nous ferons des erreurs. Nous devrons apprendre à saisir la différence entre faire une erreur et vivre une rechute. L’option est toujours facile de retourner dans le système psychiatrique lorsque nous faisons une erreur. Plutôt que de faire face à nos propres faiblesses, nous cherchons à blâmer notre biologie sans tenir compte de notre humanité. Si les personnes sont les pierres de construction du rétablissement et le Soi la pierre angulaire, alors le choix en est le ciment qui tient le tout ensemble. La dernière pierre d’assise du processus de rétablissement est l’appropriation. L’appropriation est la clé du rétablissement. Nous devons apprendre à nous approprier nos expériences peu importe ce qu’elles sont. Les médecins, psychologues, psychiatres, infirmières, travailleurs sociaux, éducateurs, confrères de travail, famille et amis ne peuvent s’approprier notre expérience. Même nos amoureux ne peuvent posséder nos expériences. Nous devons nous approprier nos expériences. Ce n’est qu’en possédant notre folie que nous pourrons posséder le rétablissement sur notre folie.
Toute cette expédition est essentiellement individuelle. Nous pouvons seulement en partager des parties avec d’autres. La plus grande part de ce voyage nous appartient, à nous, et à nous seuls. C’est à l’intérieur de nous-mêmes que nous trouvons les outils, la force et les habiletés dont nous avons besoin pour compléter cette expédition parce que c’est à l’intérieur de nous-mêmes que se déroule l’expédition.
Le rétablissement est devenu un concept étranger même si je n’ai pas parlé en jargon aéronautique. C’est plutôt le gros bon sens qui guide mes réflexions. Je n’invente rien. C’est une réitération d’une vision holistique de la vie. Nous avons besoin de réaliser que tous autant que nous sommes, nous compliquons souvent les choses. C’est presque comme si nous avions besoin que la vie soit comme une science aéronautique que nous ne pourrons jamais comprendre. Nous semblons passer beaucoup de notre temps à rendre encore plus complexe la complexité de la vie à travers l’application de notre objectivité scientifique plutôt que d’explorer nos vies avec les simples mécanismes de la subjectivité personnelle. Le temps est venu d’avoir une rencontre particulière avec un concept étranger, le temps du rétablissement est venu ».
La référence
SOUCY, B. ST-ONGE, M. (2012). Mieux vivre avec les voix. Éditions Claude Bussières, Traduit par Émilie Montpas, Le Pavois, p.256.