Témoignage d’une personne qui compose avec les voix sans suivi psychiatrique

A.L. est un homme de 42 ans. Il entend des voix depuis l’âge de 10 ans. Il a maintenant développé plusieurs stratégies qui l’aident mieux vivre avec ses voix. Il est présentement le coordinateur du développement pour Lambeth Forum for Mental Health.

Je me souviens d’avoir entendu des voix à un très jeune âge. Elles étaient toujours accompagnées d’une apparition flottante d’un visage au sourire narquois. Mais maintenant, je ne le vois plus. J’avais environ 10 ans lorsque les voix sont devenues agressives et difficiles à contrôler. Durant toute mon enfance et le début de mon adolescence, j’ai été abusé sexuellement par un membre de ma famille. Même pendant ces événements, les voix étaient présentes et me ridiculisaient. Je me souviens que je vivais replié sur moi-même. Bien que j’aille à l’école, je sentais que je ne faisais pas partie des activités quotidiennes normales. J’avais un ami, nommé Trevor, qui savait que j’entendais des voix. Il en était effrayé mais ne me rejetait pas. Nous étions très unis. Toutefois, les voix me dominaient au point où je passais des heures à leur parler.

À l’âge de 14 ans, on m’a amené voir un pédopsychiatre. J’ai été admis dans un grand hôpital ayant une section spéciale pour les enfants. En fait, j’ai été hospitalisé dans une section pour hommes adultes. Mes voix étaient déchaînées. J’ai reçu un diagnostic de schizophrénie. Je recevais fréquemment des injections de Modecate. J’en perdais toute habilité à gérer mes voix. Je n’avais plus d’émotions et mon esprit ne pouvait plus interagir avec les voix. J’ai été transféré d’un hôpital à un autre. On ne m’a jamais demandé ce que j’en pensais ou ce que je ressentais. Dès que je disais entendre des voix, on me donnait d’autres médicaments. Il me semble que la psychiatrie a le don de transformer une expérience ordinaire en un événement extraordinaire. Elle te vole ton expérience, la déforme et te la redonne en s’attendant à ce que tu sois reconnaissant. Personne ne s’est intéressé à ma vie hors de l’hôpital. Je n’étais pas soigné, j’étais administré. Je n’étais qu’un parmi tant d’autres dans un entrepôt d’âmes humaines. Les abus sexuels que j’ai vécus ont laissé des cicatrices physiques, émotionnelles, spirituelles et psychologiques. Je crois que ces quatre éléments sont représentés par les quatre voix que j’entends. En fait, mes voix ne sont pas vraiment le problème. C’est plutôt l’attitude de la société et sa manière de réagir qui sont problématiques. En essayant de faire disparaître les voix, que ce soit avec une médication ou avec des électrochocs, le cycle d’abus et de suppression est renforcé. Peu importe le traitement que je recevais, j’entendais toujours des voix. Le système psychiatrique aurait été satisfait uniquement si j’avais renié mes voix. J’aurais dû devenir un « patient modèle » et jouer selon leurs règles. J’aurais dû cacher tout sentiment négatif afin de bien m’adapter à leurs conditions et de ne
pas me rebeller.

Briser le silence

À l’âge de 36 ans, pour la première fois en 15 ans de suivi psychiatrique, j’ai pu trouver quelqu’un qui était prêt à m’écouter. C’était vraiment un point tournant dans ma vie; au lieu de me percevoir comme une victime, j’ai commencé à me réapproprier mes expériences. Une infirmière a trouvé le temps de m’écouter et a fait en sorte qu’on ne soit pas dérangé. Je me suis senti accueilli. Elle désactivait son téléavertisseur, décrochait son téléphone et fermait parfois les stores. Elle s’assoyait à côté de moi, au lieu d’en face de moi, derrière un bureau. Elle m ’a dit que ce que je lui disais était confidentiel, sauf exception. Je pouvais donc décider de ce que je voulais lui confier. Graduellement, j’ai réussi à lui parler des abus que
j’avais subis, ainsi que de mes voix. Parfois, quand je lui décrivais ce qui m’était arrivé, elle me demandait une pause, car ce que je lui racontais l’avait grandement émue. J’avais enfin trouvé quelqu’un qui reconnaissait la douleur que je vivais. Elle m’a aidé à prendre conscience que les voix faisaient partie de moi, qu’elles avaient une signification et un but. Au bout de six mois, j’étais arrivé à développer une méthode pour mieux vivre avec mes voix.

  • J’aimerais préciser que certains spécialistes de la santé mentale
    devraient s’inspirer de l’approche de cette infirmière.
  • soyez honnêtes au sujet de vos motivations et des raisons de votre
    intervention;
  • établissez des règles dès le départ;
  • créer un environnement où la personne se sentira en sécurité;
  • ne forcez pas les choses. Laissez le choix à la personne au sujet
    de ce qu’elle révèle et de ce qu’elle tait;
  • soyez honnêtes au sujet de vos propres émotions. C’est un signe
    que vous êtes également une personne, un être humain;
  • laissez la personne décider des objectifs qu’elle souhaite poursuivre.

Mieux gérer les voix

Grâce au soutien que m’a apporté cette infirmière, j’ai pu développer quelques stratégies pour une meilleure gestion de mes voix. Par exemple, je leur donne une période spécifique de temps où elles peuvent s’exprimer librement et où je peux dialoguer avec elles. Je dois toutefois m ’y préparer. Un horaire de sommeil régulier m’est d’une grande aide. Mais les voix tentent souvent de dépasser le temps que je leur consacre. Elles continuent, mais ne prennent plus toute la place. J’ai aussi appris à être en contact avec mes propres émotions bien que j’en sois parfois effrayé.

Au cours des quatre dernières années, j’ai pu identifier plusieurs événements qui semblent déclencher les voix. Je remarque parfois que les couleurs sont plus vives, plus intenses. Cette phase dure environ 30 minutes. Une voix surgit soudain parmi les bruits ambiants. J’en suis parfois apeuré, surtout lorsque la voix devient de
plus en plus dominante.

Je perçois quatre voix différentes. Elles sont toutes très différentes les unes des autres. Leurs caractéristiques se sont légèrement modifiées à mesure que je grandissais. Chaque voix semble avoir ses propres déclencheurs; mais parfois, des événements mondiaux les déclenchent toutes à la fois. Durant la guerre du Golfe, j’avais du mal à dormir et même à me concentrer pendant la journée. Mes voix
ont crié sans arrêt durant trois longs jours.

Mes voix et leurs déclencheurs

Première voix : la voix éloquente. Cette voix parle lentement et chuchote des bouts de phrases et des commentaires au sujet des gens que je rencontre. Ce qui la déclenche : parler au téléphone, visiter des endroits nouveaux, rencontrer de nouvelles personnes, toucher une personne pour la première fois (lui serrer la main).

Deuxième et troisième voix : les deux frères. Ces deux voix se parlent entre elles et interagissent parfois avec moi. Elles sont très agressives. Elles parlent de moi et des autres voix. Ce sont les voix les plus difficiles à gérer. Ce qui les déclenchent : elles sont dominantes après toute activité sexuelle ou quand je touche à de vieux objets (meubles, bijoux, miroirs, etc.)

Quatrième voix : la voix mécanique. Cette voix parle surtout la nuit ou lorsqu’il fait sombre. Elle répète souvent les mêmes choses. Elle me dit que d’autres être vivants, surtout les animaux, peuvent entendre mes voix. Ce sont les chats qui entendraient le mieux.

Étrangement, c’est la voix dont j’ai le plus peur. J’ai toutefois réussi me créer un mécanisme défense en me permettant d’être effrayé. La voix diminue alors, jusqu’à disparaître. Ce qui la déclenche: la noirceur, la pleine lune, les chats, l’insomnie lorsque tout le monde dort.

Afin d’être fonctionnel, je dois me réapproprier mon pouvoir et être très discipliné. Je n’essais plus de bloquer mes voix en jouant de la musique ou en en écoutant avec des écouteurs. Quand j’utilisais ces techniques, les voix se taisaient, mais attendaient que je sois dans une situation sociale, où je ne pouvais pas quitter, pour réapparaître. Certains thérapeutes conseillent cette technique, mais je la perçois comme une forme de déni, de rejet de la réalité.

Il est plus facile pour moi de gérer mes voix, maintenant que mes énergies sont plus équilibrées et que je me permets de vivre de l’incertitude et de l’anxiété. C’est une forme de respect de moi-même. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai développé certaines façons de mieux gérer ces expériences. Toutefois, chaque voix constitue un cas particulier.

Intégrer les voix à ma vie

La voix éloquente. Dessiner ou citer à voix haute ce que la voix me dit m’aide beaucoup. C’est habituellement d’une durée de 10 minutes.

Les deux frères. Ces voix sont les plus exigeantes sur le plan émotionnel. Je dois trouver un endroit calme, un sanctuaire où je peux les laisser parler. C’est habituellement d’une durée de trois heures.

La voix m écanique. Je réponds souvent à cette voix. Je lui pose des questions, en espérant la piéger. En me permettant de ressentir de la peur, je peux questionner la voix. « Tu ne peux pas me faire mal, hein? » En harcelant la voix, je lui prouve que je suis le plus fort. C’est souvent d’une durée de 10 minutes par heure, durant toute la nuit.

Pour pouvoir vivre ma vie, je dois me réapproprier mon pouvoir et ne pas me considérer comme une victime. Il est possible qu’en parlant de vos voix à vos proches, elles tentent de prendre leur revanche en faisant tout ce qu’elles peuvent pour vous déranger. N’abandonnez pas! Une fois que vous aurez établi une routine, les voix seront moins puissantes. Voici quelques conseils qui peuvent vous être utiles :

  • Choisissez un endroit ou un moment où vous accorderez votre
    attention aux voix. Faites-le au même moment chaque jour et
    réduisez progressivement le temps que vous leur accordez.
  • Ne niez pas vox voix, essayez plutôt de trouver ce qu’elles ont en
    commun. Où et quand apparaissent-elles? Quels sont leurs
    déclencheurs?
  • Apprenez quelques techniques de relaxation. Ce peut être utile
    lorsque vos émotions sont affectées par les voix. Utilisez-les dès que
    les voix se manifestent.
  • Appropriez-vous votre expérience. Vivez-la, sentez-la.

Il n’a pas été facile pour moi d’écrire ceci. Mes voix m’ont bien averti que lorsque j’aurais terminé d’écrire mon témoignage, elles deviendraient plus fortes et plus envahissantes. J’en ai été un peu effrayé, mais je suis toujours vivant! Je suis ravi que nous puissions partager nos expériences. Nous devons toutefois être vigilants, afin de ne pas « perdre le contrôle », de ne pas présenter nos expériences comme des stéréotypes. Je suis reconnaissant de l’aide que plusieurs personnes nous apportent. Par contre, ce soutien doit se faire selon nos conditions, puisque nous sommes ceux qui doivent gérer et vivre avec les voix. Nous ne devons pas entrer en compétition entre nous, car nos expériences sont uniques et sont aussi importantes les unes que les autres.

D’une mer de sons, d’une soupe d’émotions
Un pouvoir s’élève.
Le monde est rempli de voix,
De voix qui murmurent,
De voix qui rient,
De voix qui m’écrasent dans la noirceur de jour.
Mais j’ai une chanson dans le cœur qui me dit
Que je peux vivre en paix à leur côté

 

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